lundi 31 octobre 2016

Et ta mère!

Elle a la démarche leste 
et le flot de paroles qui va avec
laissant mon interprète
sur le flanc
dépassé
noyé.
Elle veut tout dire
et vite
et dans les temps morts
enfin
les respirations
elle présente
le plateau de Prasad
comme une dame
à ses visiteurs
"vous reprendrez bien un peu de sacré?"
Elle nous dit
qu'elle est prêtre ici
enfin
c'est son fils qui est prêtre
mais bon
hein
elle aussi
elle sait
alors...
Ecoutez ce vif-argent qu'est Angena
dans "Instantanés du monde à Bindu Sarovar" (cliquez ici pour entendre l'émission)

Photographie©Anne Bonneau

vendredi 28 octobre 2016

Le chant entre les barreaux

Quand elle évoque son séjour en prison
Raoudha est précise
incisive
ne fait grâce d'aucun détail
sans tomber dans le pathos néanmoins
une sorte de détachement l'habite
même quand elle se remémore les pires moments
la torture
le cachot.
En revanche
quand on évoque
les chants
créés dans les prisons
en résistance
son visage s'absente
se souvient
ses lèvres murmurent
ce chant
de fond de mémoire.
Sont-ce les paroles
la mélodie?
Mais alors là,
loin du discours mûri
la voix se brise
les larmes coulent
les digues lâchent.
Une ritournelle
que Raoudha entendait
plongée dans le noir
du cachot.
Ecoutez-la dans "instantanés du monde à la Manouba" (cliquez ici pour entendre l'émission)

mercredi 26 octobre 2016

Sucré-salé

On a marché longtemps
dans les couloirs de la prison de la Manouba
ouvert
fermé
des portes
salué les gardiennes
les détenues
laissé tourner l'enregistreur
laissé traîner le micro
les yeux
dans le moindre recoin
pour tout saisir
malgré le pas de course imposé
les raccourcis
les courants d'air
les bruits.
Et tout à coup
on nous a fait entrer
dans une clarté
chaude et tranquille
dans un des ateliers
qui occupent les détenues
leur permettent aussi
de gagner leur vie
ici
en détention.
C'était l'atelier de pâtisserie
pâtisserie orientale.
Comprenez
tout sucre et tout miel.
A première vue
un lieu de rédemption.
Au fil des conversations
le sel des larmes
l'amertume du ressentiment
sont venus apporter
un peu de nuance
à cette enclave dorée
au sein de la prison.
Ecoutez ces pâtissières à part
dans "Instantanés du monde à la Manouba" (cliquez ici pour entendre l'émission)

lundi 24 octobre 2016

La mémoire longue

Elle se souvient de tout.
De son soulagement
d'avoir enfin été arrêtée
et menée en prison
après des mois
des années
de surveillance
de harcèlement.
Roaoudha n'est en fait jamais sortie de prison
même quand on la rencontre aujourd'hui
dans son bureau glacial
de la ligue des droits de l'homme.
Détenue d'opinion à 25 ans
elle se rend encore
en prison
pour que les conditions de détention
ne soient peut-être plus
exactement les mêmes
que les siennes.
Elle les évoque
avec pudeur
et lucidité
dans "Instantanés du monde à la Manouba" (cliquez ici pour entendre l'émission)
Photographie © Anne Bonneau

vendredi 21 octobre 2016

Petit goûter entre amies

Elle dit
"je vais rencontrer mes amies"
quand Marie-Alix va chaque semaine
à la Manouba.
Ses amies?
Des détenues
d'origine africaine
- entendez, qui ne sont pas Tunisiennes-
d'une Afrique plus au sud donc.
Elle vient avec du café
des biscuits
des écoutilles grandes ouvertes
des questions à rapporter aux autorités
des éclats de rire
et des bises qu'elle distribue
à la volée
aux gardiennes.
ça peut surprendre
quand on se glisse derrière elle
en prison.
Cela ne veut pas dire
que les choses sont moins dures
au quotidien
pour les détenues.
Peut-être juste un brin plus douces
le temps d'une visite.
Ecoutez une visiteuse au long cours
dans "Instantanés du monde à la Manouba" (cliquez ici pour entendre l'émission)
Photographie © Anne Bonneau

mercredi 19 octobre 2016

Entrez en prison

On aurait pu se contenter
pour évoquer la vie
dans les prisons de femmes tunisiennes
de causer
depuis dehors
avec celles
qui peuvent entrer
qui sont sorties
de longue
ou plus fraîche date.
C'est ce qu'on a fait
avec Inès
en désespoir de cause
car pas question
pour les autorités
de nous laisser entrer
de voir
de rencontrer
de causer
avec celles
qui vivent
dedans.
Bon.
Evidemment
très vite
ça ne suffit pas.
Sans blague?
La pugnacité d'Inès
a fait que
nous avons pu
- bien encadrées-
passer quelques heures
à la Manouba.
Entrez avec nous
pour voir
entendre
et partager
un "Instantané du monde à la Manouba" (en cliquant ici)

lundi 17 octobre 2016

De la beauté

Pour savoir ce qu'on a le droit
le devoir
de montrer
quand on est dans la rue
en Tunisie
nous sommes parties, Inès et moi
dans les salons de beauté
histoire d'entendre parler
des usages
de la bienséance
et autres protocoles
histoire de savoir
en quoi cela engage
de sortir
attifée ou pas
dans la rue.
Nous voilà atterries chez Souhad
et à la porte
on ne peut que buter
sur le bagou de Suzanne.
Dès qu'elle dit "Mon fiiiiiiiiiils!"
je vous jure
c'est comme si vous y étiez!
Là, dans le salon de Souhad
on parle du dehors
avec des airs craintifs
mais là, entre le bac et le séchoir
derrière le rideau de lamelles de plastique anti-mouche
on jase
on cause
on chante
on rit
on se montre son dernier soutif
les sms de son chéri
bref
la vie.
Ecoutez-la, dans "Instantanés du monde, dans les rues de Tunis" (cliquez ici pour l'entendre)
Photographie © Anne Bonneau

vendredi 14 octobre 2016

La femme qui n'avait pas de rue

Bien-sûr qu'elle a une rue
Olfa Youssef
Bon
faut déjà la trouver
mais quand on y est
pas difficile de repérer sa maison
c'est celle devant laquelle
veillent nuit et jour
des policiers.
Privée de rue
pour cause de danger
privée d'extérieur
pour cause de menace de mots
de menace de mort
privée de liberté ?
Pas de celle de parler!
Olfa est visée car elle parle de la rue
entre autre
de la femme dans la rue
de la femme dans le monde
de la place de la femme
dans les livres
et aussi
et surtout
dans le Coran.
ça déplaît fort.
Elle a des mots passionnants à partager
sur la femme
son voile
sa rue
sa liberté.
écoutez-là, dans "Instantanés du monde, dans les rues de Tunis" (cliquez ici pour entendre le rire et les mots d'Olfa)
Photographie © Anne Bonneau

mercredi 12 octobre 2016

Des mots pour pavés

On la connait parce qu'elle écrit
Shams Radhouani Abdi
mais quand elle parle
ses mots sont des oiseaux
ou des pavés qui volent
dans les manifs
c'est selon
selon
son inspiration.
Mais alors pour une fois
ne vous fiez pas
pas uniquement
à sa voix mélodieuse
son français chantonné
telle une petite fille
qu'elle est loin d'être.
Même si elle avoue
j'ai peur
ça n'a rien d'un lamento
juste
qu'elle n'a pas
la langue de bois.
Même si ses mots chantent
et sourient
elle n'a rien mais rien
d'une ingénue
ou d'une ravissante idiote.
Derrière son engagement lucide
il y a des heures de réflexion
de débats
de lectures
et des kilos de courage.
Ecoutez Shams
parler de slam
de rue
de droits
de provocation
dans "Instantanés du monde, dans les rues de Tunis" (cliquez ici pour l'entendre) 
Photographie © Anne Bonneau

lundi 10 octobre 2016

Le corps d'Amira

C'est pour me parler de son corps
que j'ai rencontré Amira Chebli
son corps
et celui des autres
femmes.
Il faisait un froid de gueux
elle était empaquetée comme moi
et dans la rue
derrière elle
des femmes passaient
voûtées sous les voiles
et les paletots.
Qu'un de mes papiers s'envole au vent glacial
et Amira saute d'un bond le parapet
pour aller le récupérer
tel un feu follet.
Amira Chebli est comme ça
vive comme la bourrasque
et réfléchie comme la lumière sur les murs blancs nous entourant.
Si je vous la fait rencontrer
c'est qu'elle a tout un monde à raconter
à propos du corps des femmes
dans la rue.
Tout comme la metteur en scène
Leila Toubel
qui observe nos gestes
nos postures
en fonction
de notre environnement.
Ecoutez ces belles donzelles
parler d'elles
et de nous
dans "Instantanés du monde dans les rues de Tunis" (cliquez ici pour les entendre)
Photographie © Anne Bonneau

jeudi 6 octobre 2016

à la rue

ça c'est typiquement
le genre de rue
dans laquelle
les Instantanés du monde
aiment à baguenauder.
Suffisamment tranquille pour causer
mais pas trop pour que ça ne craigne pas
suffisamment ensoleillée pour que l'on cause longtemps
mais pas trop
pour que celles qui craignent le soleil
ne veuillent pas abréger la conversation
trop vite
pour
ma curiosité.
Et pourtant
c'est pas du tout
dans une ruelle de Sidi Bou Saïd
que nous nous sommes posées
les filles
et moi
pour parler
de la rue
de leurs rues
de Tunis.
Il y avait du bruit
du vent
des gars qui nous écoutaient
mais elles n'avaient même pas peur
et n'étaient surtout
pas pressées sur ce sujet
d'importance
leur place
à elles
les filles
dans la rue.
Ecoutez-les
dans "Instantanés du monde dans les rues de Tunis" (cliquez ici pour les entendre)
Photographie © Anne Bonneau

mercredi 5 octobre 2016

Le champ derrière les murs

Comment faire pour nourrir
une troupe de réfugiées?
Planter, cultiver, semer, récolter.
Le problème ici
pour ces jeunes filles
promises
à des hommes plus vieux
et déjà bien mariés
c'est qu'elles sont fort recherchées
par leurs familles bafouées
par leur refus
de coopérer
donc
d'épouser.
Elles se cachent ici
et le petit champ
où elles cultivent arachides et haricots
est clos de murs
piqué de tessons de bouteilles.
Le chant des oiseaux passe
l'air frais aussi
les cris
aussi
sans doute.
Ecoutez-les dans "Instantanés du monde à Kaya" (cliquez ici pour entrer dans le champ derrière les murs)
Photographie © Anne Bonneau

lundi 3 octobre 2016

Quand je serai grande

Qui sait ce que vous réserve
le fil de la vie?
Les jeunes filles
tissant à l'ombre
dans la cour
du foyer Maria Goretti
n'avaient sûrement pas imaginé
être mariées à douze ou treize ans
et pourtant.
Elles ont fui
se sont enfuies
se sont reconstruites
ici
en filant
en tissant
en mettant de côté
de l'argent
pour plus tard
pour trouver
un mari
parce qu'il faut bien
essayer
de se réintégrer
lorsque comme elles
on est
bannies.
Ecoutez leur rêve d'avenir
malgré tout
dans "Instantanés du monde à Kaya" (cliquez ici pour les entendre)
Photographie © Anne Bonneau